Civilisation dogon au Burkina

Une culture prise en tenailles par la modernité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au cœur du Sahel malien s’étend une falaise longue de 250 km avec une hauteur avoisinant par endroit 600m. Dans ce massif appelé falaise de Bandiagara est installé un peuple depuis le XIe siècle dont la culture et la cosmogonie ont fait de lui un groupe unique en son genre. Les Dogons, puisque c’est d’eux qu’il s’agit ont su conserver jalousement leurs us et coutumes face aux civilisations étrangères. Au Burkina Faso, particulièrement dans sa partie Nord, on retrouve aussi les Dogons (ou Kibsi en langue nationale mooré), notamment dans la province du Yatenga. Qui sont-ils ? Comment sont-ils organisés ? Découverte de l’un des peuples les plus énigmatiques de l’Afrique subsaharienne.

Ouahigouya, chef-lieu de la région du Nord, est par excellence, la porte d’entrée du pays dogon. C’est à partir de cette ville, particulièrement aux quartiers Bangrin et à Bobossin où ils résident, que nous avons fait notre "immersion" dans l’univers dogon. Dans la famille Zougdyiri de Bobossin, c’est le doyen des Dogons, "Vieux Djibo" qui nous reçoit au balcon de sa concession construite en banco et qui sert de mosquée. Converti à l’islam, il se fait appeler Abdoukadré Ouédraogo. Après les salutations d’usage, nous lui faisons part de l’objet de notre visite. Démarche que l’octogénaire d’un teint blafard a trouvée chaleureuse. Il a accepté consacrer un peu de son temps.

Plusieurs versions et mêmes des légendes aussi invraisemblables les uns que les autres caractérisent l’histoire des migrations des Dogons "au Pays des hommes intègres". « Selon ce que nos grands parents nous ont raconté, Naaba Kango au cours de ses conquêtes a capturé une jeune femme dogon au bas de la falaise de Bandiagara. De retour dans son royaume, il s’arrêta à Thiou (NDLR : commune rurale située à 35 km au Nord-Ouest de Ouahigouya) pour se reposer. Pendant ce temps, deux frères dogons, Amaninsi et Naninsi s’étaient lancés à la recherche de leur sœur. Ces derniers furent aussi capturés par les éléments du roi. Naaba Kango ne les a pas tués parce qu’il trouvait en eux de l’audace. Arrivé à Ouahigouya, il sépara les deux frères dogons, mais ils résidaient dans le même quartier.

Et chacun reçu une terre pour cultiver jusqu’à la mort du roi. Donc, je peux dire que c’est Naaba Kango qui nous a amenés à Ouahigouya. Jusqu’ aujourd’hui, les deux quartiers existent et les enfants sont là », raconte Abdoukadré Ouédraogo avec toute la bonne foi d’un historien professionnel. Pour le délégué régional du Médiateur du Faso du Nord, Rimwaya Ouédraogo, il faut remonter au règne de Naaba Raoua, fondateur du royaume du Zondoma. « Les Dogons occupaient la région du royaume du Yatenga avant l’arrivée des éléments de Gambaga. Naaba Raoua est venu les refouler jusqu’à Bandiagara parce qu’ils ne voulaient pas se soumettre.

C’étaient des grands travailleurs de la terre. Avant leur départ du plateau du Yatenga, ils ont fermé tous les puits qu’ils avaient creusés. Dans certaines parties de la région, on trouve encore ces puits », confie-t-il. A en croire Saïdou Tall, animateur de radio et originaire de Bandiagara, on dénombre 64 puits dogons sacrés dont 13 dans la seule ville de Ouahigouya.

 

« Mêmes mes grands parents ne sauraient répondre à cette question »


Curieux d’en savoir davantage sur ces puits et bien d’autres spécificités de la culture dogon, nous décidons de parcourir quelques localités de la région. Notre périple nous conduit jusqu’aux confins de la frontière malienne. Plus de 300 km parcourus à travers pistes rurales et hameaux sous un vent froid et sec de l’harmattan. Une sécheresse à fendre les lèvres !

Kononga, village situé à 15 km de Ouahigouya est la première étape de notre itinéraire. Dans cette bourgade se trouve un puits creusé par les Dogons. Boureima Sanga, un sexagénaire natif du village nous fait visiter le puits. Couvert par de gros morceaux de bois, sur lesquels, l’on s’appuie pour puiser l’eau, le fameux puits présente une profondeur remarquable. « Il est intarissable quelle que soit la période. Des villages environnants viennent s’approvisionner ici quand ils sont en manque d’eau », assure le sexagénaire. Quand nous demandons l’âge de ce grand réservoir d’eau, la réponse de notre interlocuteur remonte dans le temps. « Mêmes mes grands parents ne sauraient répondre à cette question. Je sais que ce sont les Kibsi qui l’ont creusé », nous répond Boureima Sanga avec une pointe d’humour.

A Nogo, on n’a pas eu la veine de Kononga. Le seul puits, vestige de l’ère dogon, situé à 45 km de Ouahigouya est asséché comme une peau de mouton. Selon Grégoire Nacanabo, fils du délégué du village, l’installation de Naaba Lamboèga en ces lieux est à l’origine du départ précipité des Dogons. Mais selon certaines indiscrétions recueillies sur place, ils auraient caché leurs fétiches quelque part dans le village. « Ils viennent tous les 3 mois. Ils vous préviennent qu’ils viendront faire des rites mais vous ne les verrez pas », nous confie notre vis-à-vis.

Au fur et à mesure que l’on se dirige vers la frontière malienne, la culture dogon révèle aux visiteurs, ses multiples facettes. A Kalo, village situé à 7 km de Thiou, nous sommes accueillis au quartier kibsyiri, par l’intérimaire du chef dogon (décédé il y a 3 ans), Grégoire Warmé. Les va-et-vient des femmes, le jeu de cache-cache des enfants et le bêlement des moutons et des chèvres rythment par moment la modeste cour familiale où nous sommes introduits. Au centre de la concession, une maisonnette au toit de paille presque délabrée jouxte un grenier. « C’est la maison funèbre.

A la mort du chef de famille, on dépose le corps dans cette maisonnette pour environ 2 jours, avant de l’enterrer. Les femmes et les enfants n’y ont pas accès. Quant au grenier, il sert à recueillir le mil qu’on offre au défunt pour la préparation du dolo », explique Grégoire Warmé. Dans les légendes dogons, la symbolique de la fuite à cheval devant l’ennemi est quasi permanente. Selon le chef intérimaire de Kalo, la construction de cette ouverture rappelle le temps des captures. Dans un des côtés du mur qui entoure la concession, une embrasure d’une hauteur de moins d’un mètre est en effet érigée sous forme d’issue de secours. « Au temps des conquêtes, les Nioniossé venaient capturer des Kibsi à cheval. Quand ces derniers les voyaient venir, ils rentraient tous dans la cour familiale faisant croire à l’ennemi qu’ils se sont faits prisonniers dans leur propre concession. Etant dans la cour, ils passent par la petite ouverture pour disparaître dans les collines sans que l’ennemi ne s’en rende compte afin d’échapper à la capture.

C’est pourquoi nous ne fermons jamais cette porte », relate-t-il. Derrière la concession familiale, est terré le tombeau des chefs dogons de Kalo. Dans ce caveau sont enterrés 11 chefs dogons dont les noms sont inscrits sur les bords du sépulcre, de Anoh Warmé à Tapourarogo Warmé. L’occasion faisant le larron, lorsque nous décidons de quitter le représentant des Dogons de Kalo pour poursuivre notre itinéraire, celui-ci nous confie son coup de gueule. « Nous avons un problème d’eau. Pourtant il y a un cours d’eau non loin d’ici. Il suffit de construire une digue pour humidifier nos terres. On nous a promis des barrages, mais jusque-là rien. Nous sommes fatigués. », nous lance-t-il en guise d’aurevoir.

 

Les dieux de Thiou


Contrairement aux Dogons de Kalo, ceux de la localité de Thiou continuent de communiquer grâce à l’un des 73 dialectes que comprend la langue dogon et ce, malgré l’influence du mooré. Amon Warmé, fils du chef de terre dogon témoigne, Menouey Warmé faisant office d’interprète. Adossé au mur de sa maison, le torse à moitié nu et la tête recouverte d’un bonnet, du moins ce qu’il en reste, le chef de terre s’est prêté avec enthousiasme à nos questions. Selon de dépositaire de la tradition dogon de Thiou, l’ancêtre des premiers habitants de Thiou est originaire du Mandé au Mali. Après s’être installé à Sanga (au Burkina Faso), le plus jeune de ses sept fils serait venu s’établir à Thiou. « Les autres frères ont migré vers Kalo, Doré et Kononga », indique-t-il. Les Dogons sont avant tout des cultivateurs de petit mil, de sorgho, de riz, ainsi que d’oignons et de quelques autres légumes peu exigeants en eau.

Cette année, les caprices de dame pluviométrie ont eu raison des récoltes. Menouey Warmé et quelques doyens dogons s’apprêtent à célébrer la fête des nouvelles récoltes, passage obligé avant la consommation. Dans la cour du chef de famille se trouvent 4 greniers alignés au milieu desquels est entreposé un autel sur lequel, des plumes imbibées de sang séché restent collés. « C’est le dieu alimentaire. Nous égorgeons des poulets ici et préparons le dolo avec l’ancien mil pour remercier les ancêtres pour nous avoir donné de nouvelles récoltes avant de les mettre dans les greniers », déclare Amon Warmé. Non loin de l’autel se dresse une maisonnette dont les caractéristiques sont proches de celle de la maison funèbre que nous avons vue à Kalo. En réalité, cette maisonnette est destinée à tout autre usage. Le fils du chef de terre nous informe que c’est la maison de la femme en période de menstruation.

« Elle séjourne dans cette maison durant toute la période. Elle ne reçoit pas d’étranger », dit-il. Dans cette contrée, les pratiques traditionnelles dogons sont encore bien présentes. En effet, Thiou regorge toute une panoplie de lieux sacrés, disséminés à travers la commune. Ainsi, certains espaces servent de lieux de sacrifice pour implorer le dieux de la pluie. A l’école primaire de Thiou, un espace est réservé au Dieu suprême de la localité sur lequel on ne sacrifie que des animaux de couleur noire. Prochaine étape de notre exploration : Kaïn. A la faveur de la communalisation intégrale, cette localité distante de 35 km de Thiou est devenue une commune rurale depuis 2006. Située à 7 km de la frontière malienne, Kaïn a une population d’environ 11 mille habitants composés majoritairement de Dogons.

Les dialectes dogons ont pignon sur rue à Kaïn. C’est dans cette agglomération que nous avons rencontré l’une des principales architectures qui caractérise la culture dogon : « le togonan » ou le plus vieux hangar du village. Les grandes décisions relatives à la vie du village se prennent par les anciens sous ce hangar. Il sert également de lieu de jugement. « La hauteur du hangar excède rarement un mètre. Sa taille basse oblige les hommes à s’asseoir et interdit l’emportement (NDLR : d’ailleurs en se levant brusquement, on se cogne la tête) », commente Issa Sankaré, notre guide et compagnon de route. Le hangar est constitué de 8 grands piliers en bois sur lesquels reposent 8 couches de chaume faisant référence au nombre des premiers ancêtres dogons. Sur les piliers sont sculptés des symboles dogons.

A l’intérieur de cette architecture sont entreposés de gros troncs d’arbres qui servent de tabouret ou de banc sur lequel on peut s’étendre. A côté du hangar se dresse une mosquée, œuvre du doyen des Dogons (né en 1922), Abdoulaye Guindo. Converti à l’islam, « il a caché tous les fétiches prétextant que ces talismans apporteront un malheur », affirme, Cacana Guindo, l’un des fils du doyen. Il en est de même dans les autres localités où nous sommes passés. Si à Thiou, les sages dogons pratiquent désormais le christianisme, à Kalo, en plus de la conversion, le moré est parlé en lieu et place du dogon. Les danses Dogons quant à elles ne sont sollicitées que lors des campagnes électorales.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO

 


Le grenier dogon


Les greniers dogons sont clairement identifiables par leur toiture en paille en pays dogon. Celui de l’homme en général, est plus important par sa taille, possède deux fenêtres et ne conserve qu’une seule variété de céréale, le mil. Par contre, le grenier de la femme dogon est plus petit et le mari n’y a pas accès. Il n’a qu’une seule fenêtre. La femme dogon a droit à une terre cultivable et un grenier seulement après son mariage. L’intérieur du grenier est divisé en 3 compartiments dont le mil occupe le plus grand compartiment. Les deux autres compartiments sont réservés aux autres céréales et aux condiments. La femme dogon peut même y garder ses bijoux. Dans une concession dogon, le nombre de grenier féminin permet de déterminer le nombre d’épouses du chef de famille.

 


Le désir de raffermir la culture dogon


En 2006, la rencontre d’un Dogon de la falaise (Mali) et celui de la plaine (Burkina Faso) sur un site d’or, à Zoom, village situé à environ 40 km de Ouahigouya a permis à 130 Dogons (hommes, femmes et enfants) de la province du Yatenga d’effectuer une excursion sur la falaise de Bandiagara, grâce aux soutiens des fils établis à Ouahigouya, Ouagadougou, Bobo Dioulasso et aux Etats-Unis. Durant 3 jours, ces derniers ont échangé avec les sages de la falaise et ont visité certains sites ayant un lien avec l’histoire des migrations de leurs ancêtres, notamment le puits devant lequel, la jeune femme dogon aurait été enlevée par Naaba Kango et sa troupe. A Kononga, le décès de l’émissaire chargé d’établir les liens dogons et des familles Sanga a ralenti les démarches. Qu’à cela ne tienne ! En vue de rendre pérenne leur culture, tous les dogons ont été invités à prendre part à la fête de « Sigui » en 2027 à sanga en territoire malien à 40 km de la falaise. Cette manifestation a lieu tous les 60 ans

 

Sens des noms des localités dogon


Kononga : Se déshabiller pour prendre de l’air.
Kalo : En souvenir du premier Dogon à installer un secco de paille pour servir d’abri.
Thiou : Piquer d’une flèche.
Doré : Se séparer de la famille.
Kaïn : Bœuf sauvage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




24/11/2011
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