MORTALITE MATERNELLE ET INFANTILE NEONATALE :

Le 12 juillet 2011, au petit matin, Alima, âgée de 34 ans, rend l’âme des suites de complications d’une césarienne survenue quatre jours plus tôt au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) du secteur n°30 de Ouagadougou. Une situation souvent acceptée et mise sur le compte de la fatalité. Mais à y voir de près, cela relève parfois de la négligence ou d’un manque de qualification du personnel soignant.

"Je la revois encore toute heureuse d’attendre un enfant", nous a confié l’un de ses anciens collègues de service. Il est 10h 53 mn le 8 juillet 2011 quand Alima met au monde, par césarienne ‘‘programmée’’, un bébé de sexe féminin, vivant. Poids de l’enfant : 3140 grammes. Après avoir reçu la visite postnatale du gynécologue aux environs de 12h, la jeune maman dont c’est la première grossesse, se plaint de frissons et de douleurs à la nuque mis sur "le compte de la climatisation ou des effets post-anesthésiques" par les infirmiers de garde du CMA du secteur n°30. Dans la soirée, les douleurs atteignent les membres et s’aggravent. Les infirmiers instaurent alors un traitement par quinine pour "paludisme probable".

Le 9 juillet, au matin, devant la persistance des douleurs, la baisse de l’audition et les vaines tentatives de joindre au téléphone le docteur qui a fait l’intervention, monsieur Coulibaly, le mari de Alima, va se résoudre à le rejoindre dans un cabinet privé (le cabinet W. situé non loin du CMA du secteur n°30) où la gynécologue a l’habitude de consulter les samedis matin -la patiente ayant déjà été consultée à cet endroit- M. Coulibaly est reçu vers 12 heures, et après avoir expliqué l’état de son épouse, il reçoit une ordonnance et un mot qu’il transmettra aux infirmiers de garde au CMA. Les produits (Novalgin, Eau distillée, Seringues, Vit. C) payés vers 13h à la pharmacie de garde Yennenga sont amenés immédiatement au centre médical.

L’infirmière de garde dit de "revenir vers 15h car un traitement antalgique avait déjà été administré le matin à la patiente". Sans assistance d’un quelconque personnel de santé, Mme Ouédraogo, accompagnante de la patiente, assiste, sans savoir que faire, à la persistance des douleurs avec transpirations profuses. A 15 h, le traitement est entrepris avec une prise de température. Selon Mme Ouédraogo, l’infirmière aurait dit "Pas bon mais probablement dû à l’effet des produits’’ et elle a conseillé de "boire chaud" et de "couvrir la patiente" face à la baisse de la température à 35°. Dimanche 10 juillet, au matin, apparition d’une dysarthrie avec changement de regard de la patiente et impossibilité de se tenir debout, d’avaler quoi que ce soit et une persistance des transpirations. Au vu de l’aggravation de l’état de la patiente, les infirmiers finissent par joindre la gynécologue au téléphone et une Numération de sa formule sanguine(NSF) est faite à la clinique Sandof. Alima est transférée à l’hôpital Yalgado vers 20h pour la suite de la prise en charge en service de réanimation.

Lundi 11 juillet. Poursuite des analyses sanguines avec indication de transfusion de plaquettes devant le taux effondré des plaquettes à 65 000 éléments/ml pour une normale de 150 000 éléments/ml. Alima décède le 12 juillet 2011 à 3 heures passées de 25 minutes. C’était son jour, et c’est la volonté divine, entend-on dire dans pareilles situations.

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Dr Boulma Roland Kientèga : « Si la mortalité maternelle flambe au Burkina, je pense qu’il y a une bonne partie que nous pouvons mettre sur le compte de la négligence » (Ph. Aïcha Traoré)

Pourtant, le Dr Boulma Roland Kientèga, consulté dans le cadre de l’écriture de cet article, affirme sans détours que « si la mortalité maternelle flambe au Burkina, une bonne partie est imputable à la négligence ». Il ajoute que "tout le monde médical est au courant de tout ce qui se passe en ce qui concerne ces médecins qui salissent la profession".

Les formations sanitaires manquent de tout et y pratiquer les soins devient quelque fois une prouesse mais cela ne doit en aucun cas justifier ce qui est arrivé à Alima et certainement à tant d’autres mamans. Vaines tentatives de joindre la gynécologue après l’intervention. Pour son transfert à Yalgado, il a fallu attendre une ambulance équipée en oxygène pendant plus de trois heures d’horloge. Aucun médecin de garde au centre médical pour intervenir quand la patiente souffrait. Une situation fréquente, selon des témoignages d’infirmiers qui disent être souvent des souffre-douleur. Approché, un infirmier du CMA ayant requis l’anonymat explique : « Il y a un sérieux problème avec les malades privés. Si tu interviens et qu’il y a des complications, tu as des ennuis avec le médecin traitant. Si tu ne fais rien, les proches des patients t’accusent de non-assistance. Que faire si le docteur est injoignable ou s’il ne décroche pas quand on l’appelle ? »

Sauf que pour le cas de Alima, quand la température a chuté, samedi, à 35°, ce qui constitue un signe d’état de choc grave devant faire courir le personnel sanitaire à droite et à gauche, les infirmiers de garde répondent simplement "c’est pas bon mais ça doit être l’effet des produits, elle n’a qu’à boire chaud et se couvrir, ça va aller".

Ça n’ira pas du tout, aurait-on pu leur rétorquer

S’il est admis dans nos cultures que "c’est Dieu qui donne" et "c’est encore lui qui reprend", il est flagrant qu’au moins la non-assistance à personne en danger et la faute professionnelle peuvent être retenues contre le personnel médical en service ce jour au CMA du secteur n°30.

Le plus grave, c’est qu’au vu des consultations prénatales effectuées auprès de la gynécologue (la même qui a fait l’intervention), on observe la mention -en rouge- antécédents médicaux HB SC drépanocytaire. Ce qui a impliqué un suivi plus régulier de Alima. Finalement, c’est dans son cabinet privé non loin du CMA que la gynécologue a reçu le mari de la défunte pour délivrer une ordonnance et un mot pour l’infirmier de garde. La décision de transfert a été prise le dimanche matin, après que la famille de la défunte s’est résolue à contacter un ami médecin, Dr Francis Ouédraogo, qui s’est déplacé -sur place au CMA du secteur n°30- et a constaté que la nouvelle maman était dans un coma ‘‘vigil’’. ‘’Et je pense qu’il faut un minimum de bagages pour reconnaître un coma vigil‘,’ affirme Dr Ouédraogo, qui déplore, par ailleurs, l’absence du médecin de garde et "le manque de tout, même du minimum comme l’oxygène" dans la maternité.

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Dr Francis Ouédraogo : « Ce ne sont pas tous les médecins et tous les gynécologues qui manquent de conscience professionnelle » (Ph. Aïcha Traoré)

Il dit avoir été choqué qu’un tel tableau clinique se retrouve dans une structure sanitaire sans la présence de personnel qualifié en la matière. En formation pour l’obtention d’un D.E.S de chirurgie infantile de l’université de Cocody (à Abidjan en Côte d’Ivoire), Dr Francis Ouédraogo, pour avoir lui-même travaillé longtemps au Burkina Faso, dans un service de gynécologie-obstétrique, rassure que « ce ne sont pas tous les médecins et tous les gynécologues qui manquent de conscience professionnelle ». Bien au contraire, dit-il, beaucoup travaillent très consciencieusement et donnent le meilleur d’eux-mêmes malgré le sous-équipement de nos hôpitaux.

A propos de ce déficit en équipements adéquats dans les structures sanitaires publiques, il va falloir que les autorités politiques sanitaires concrétisent leurs ambitions dans l’espoir de voir une réduction significative de la mortalité maternelle et infantile néonatale. En effet, il y a des limites à la pauvreté : équiper 20 lits au service de réanimation de l’hôpital Yalgado, c’est dans nos moyens ! Doter les maternités de consommables en quantité suffisante, ce n’est pas non plus hors de portée. C’est le coût à supporter pour réduire le nombre de ces femmes burkinabè qui meurent à la manière de Alima en donnant la vie.

Dans un communiqué de presse de la Direction de la communication et de la presse du ministère de la Santé, paru dans le quotidien Sidwaya du 2 août 2011, on peut lire que "tout décès maternel dans les formations sanitaires fait l’objet d’un audit pour situer les responsabilités". Comment comprendre alors qu’une césarienne programmée chez une jeune femme (34 ans) avec des antécédents médicaux -HB SC drépanocytose- devant nécessiter et ayant nécessité ‘‘un suivi régulier et rigoureux’’ se solde par des négligences aussi graves ? Doit-on mettre ce décès sur le compte de la fatalité et amender des professionnels inconscients, voire incompétents, qui sèment la désolation dans les familles ? Le fait que l’exercice de la médecine ne nourrisse pas convenablement son homme au Burkina ne doit pas ôter à nos médecins ce minimum de conscience professionnelle qui doit sous-tendre ce noble métier qui nécessite de celui ou celle qui l’exerce, un minimum d’humanisme et de vocation. Alima, avant de sombrer dans le coma, a demandé aux proches qui étaient à son chevet : « Appelez ma gynécologue ». Cet article se veut un appel à tout le personnel de la Santé au respect de leur serment pour que la venue d’un nouveau né reste un événement heureux.

Aïcha TRAORE


Fatalité ou négligence ?

Il y a quelques semaines, a eu lieu le lancement de la campagne pour l’accélération de la réduction de la mortalité maternelle. Mais a-t-on souligné la part importante des fautes professionnelles et des négligences diverses dans cette tragédie ? A cette occasion, la représentante résidente de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Dr Djamila Cabral, a salué les efforts soutenus du gouvernement burkinabè tout en relevant les défis qui restent à relever pour l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement, notamment dans son volet réduction de la mortalité infantile et maternelle néonatale.

Ce sont, a-t-elle dit, entre autres, l’amélioration de la qualité des soins et la lutte contre l’inégal accès aux services sociaux de base. A la même occasion, le ministre de la Santé, Adama Traoré, a invité les acteurs à œuvrer pour des actions concrètes en vue de fournir aux femmes des soins adéquats et de qualité. Vivement que tous s’engagent ! Des témoignages, on constate avec amertume que le cas regrettable de Alima n’est pas un cas isolé résultant d’une erreur fortuite.

Ce cas s’inscrit malheureusement dans une longue liste de décès dus à l’erreur, une faute ou à diverses négligences humaines et professionnelles.

Si, à cela, on ajoute les problèmes techniques et si l’on prend en compte la situation au niveau national, c’est un phénomène qui est peut être statistiquement non négligeable. Il faudra multiplier les actions de conscientisation et de sensibilisation de la population sur leurs droits (et devoirs) face aux fautes professionnelles dans la pratique de la médecine au Burkina Faso.

Cela inclut naturellement les rapports entre le personnel soignant et les patients, car, dans les structures sanitaires, des femmes enceintes se disent "brutalisées, insultées et terrorisées" par certaines sages-femmes.

Il est opportun que des émissions télévisées et/ou radiophoniques largement diffusées sur la question soient réalisées pour mieux communiquer et soutenir cette lutte contre ce qui s’apparente à tout sauf à la fatalité. Les organisations féminines de la société civile ont, là, une bataille qui vaut la peine d’être menée et gagnée. Pour ceux qui sont dans le corps, l’Ordre des médecins pourrait organiser des séminaires sur la question à l’intention du personnel, notamment les aides-soignants.

La pratique de la médecine doit rester un don de soi avant toute considération économique. Don de soi qui doit aussi s’observer dans les autres métiers pour un Burkina émergent. Ceux qui ne peuvent pas obéir à cela dans le cas de la médecine doivent exercer un autre métier. Le temps est venu, pour les autorités et la société entière, d’arrêter d’entourer ces actes d’impunité et de les mettre sur le fait de la volonté divine, car certains médecins abusent de la confiance des patients.

Aïcha TRAORE



15/09/2011
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