REMISE EN CAUSE DE L’AUTORITE DE L’ETAT

Le Burkina sur la pente raide

 

Au Burkina Faso, l’Etat a mal à son autorité qui se désagrège lentement mais sûrement. A preuve, après les crises survenues dans les deux grandes villes de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, le vent de la contestation connaît aussi une forme de décentralisation. Outre les troubles qui ont gagné des villes comme Ouahigouya, Boussouma et Diapaga pour ne citer que les plus récents, un malaise est également perceptible à Yendéré, à la frontière ivoirienne. Qu’il est triste de voir les populations en arriver jusqu’à s’en prendre à l’autorité de l’Etat afin de chercher à se rendre justice ! C’est non seulement le signe d’un malaise persistant, mais aussi la preuve qu’entre le citoyen et les institutions publiques, le fossé va grandissant.

Dans le cas de Boussouma, on a vite fait de réprimer plutôt que de chercher à trouver un consensus entre quatre murs. Pourtant, jamais les gaz lacrymogènes, les vieilles méthodes basées sur la répression systématique, ne seront une solution face à la révolte d’un peuple désabusé, las de pratiques inacceptables et longtemps sevré d’alternance. Le vent de contestations qui souffle sur le Burkina a pour principale raison la mal gouvernance. C’est la conséquence de certains faits, dont la justice apparaît comme le nœud gordien. Dans ce pays, la vie chère et le poids des injustices sociales sont en effet devenus très criards. L’on a vraiment du mal à reconnaître les Burkinabè qui expriment en ce moment leurs frustrations, en s’adonnant à des actes qui bafouent ouvertement l’autorité de l’Etat.

Comme les jeunes soldats qui avaient extirpé dans un passé récent, leurs compagnons des cellules de nos prisons, les populations civiles de certaines contrées semblent avoir décidé de se rendre elles-mêmes justice. La preuve, s’il en est, que l’on n’était pas allé assez loin dans l’analyse des faits, suite à la crise qui avait profondément secoué l’appareil d’Etat, et surtout une institution comme l’armée nationale. Il va donc de soi que l’on n’avait pas pris les meilleures décisions. En dépit des efforts, la justice ne demeure toujours pas irréprochable contrairement à l’idéal républicain basé sur la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. De sorte que les Burkinabè font de moins en moins confiance en une justice qui, à leurs yeux, prend toujours fait et cause pour les tenants du régime et leurs proches.

On a parfois les larmes aux yeux, face à l’arrogance de certains puissants du régime. Sans aucune retenue, ils briment ouvertement leurs concitoyens, pillent sans vergogne les communautés et se bombent la poitrine car « il n’y aura rien ». Comment donc s’étonner que les citoyens, aujourd’hui au fait de leurs droits, soient révoltés devant ce qui paraît à leurs yeux ni plus ni moins que des abus ? A-t-on vraiment à cœur d’intégrer, dans les pratiques, les notions élémentaires relatives au sens de l’honneur, de la probité, autant que la compassion à l’égard de ses concitoyens ? Qu’en est-il du respect des droits humains élémentaires ?

Pourquoi, dédaignant la splendeur de leur toge, certains magistrats en viennent-ils jusqu’à outrepasser parfois leurs prérogatives ? Pourquoi certains agents des forces de l’ordre, des hommes en uniforme, vont-ils jusqu’à abattre de présumés innocents ou à faire preuve de négligence ? Le manque de retenue de la part de personnes assermentées ne peut que pousser les populations vers l’irréparable. Mais, les mouvements de contestations qui se suivent et se ressemblent dans une certaine mesure, expriment, au-delà d’une quête de justice sociale, une vraie soif d’alternance.

Les rancœurs tendent à se multiplier face aux abus de toutes sortes : dépossessions des terres et des biens au profit exclusif des puissants et des riches. Détournements dans l’impunité, des deniers publics comme en témoignent même des enquêtes parlementaires, etc. Jamais on n’avait vu des Burkinabè s’attaquer autant à des édifices publics, brûler des champs comme les contonculteurs, pour exprimer leur ras-le-bol devant les défaillances de l’Etat. Dans le climat actuel, les nerfs sont à fleur de peau. Plutôt que de crier à l’incivisme des populations, on gagnerait bien à analyser les choses et à leur trouver des solutions idoines. Comme tant d’autres pays, le Burkina est lui aussi dans l’œil du cyclone. On n’a pas beaucoup tiré leçon du passé, encore moins des conséquences des vents de révolte enregistrés ailleurs. Le Faso est sur la pente raide car, on aura finalement tout essayé sauf le vrai changement : l’alternance.

Ce, d’autant que des civils aux militaires, des élèves aux travailleurs, du paysan au citadin, des mécontentements s’expriment face à la situation actuelle. La décentralisation imprévue des mouvements de contestation en témoigne. Plutôt que de s’accrocher aux vaines tentatives de colmater les brèches que la fureur des eaux a provoquées dans une digue, en pleine saison des pluies au Sahel, il faut voir la réalité en face. Une nation démocratique et forte ne peut se construire dans l’injustice économique et sociale. Lorsqu’on ne dit pas le droit, on révolte la conscience citoyenne en éveil.

La dérive est grave ; le laisser-aller s’installe durablement. Les cris de révolte qui ne cessent de monter traduisent une réelle soif de changement dans la gouvernance du pays qu’il ne faut point négliger. Il faut dépasser les analyses à courte vue, qui ont tendance à interpréter les mouvements de révolte comme des cas isolés d’indiscipline et d’incivisme. Ne pas le comprendre, ne pas admettre la réalité pour trouver ensemble des solutions idoines, pourrait plonger le Faso dans un gouffre dont il pourrait ne pas sortir de sitôt.



28/06/2012
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